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Le besoin de penser

Le Besoin de Penser est un blog d'étude et d'enseignement sur la philosophie et ses périphéries. Son contenu n'est pas sans taches. Mais déjà, il est susceptible d'apporter un plus en matière de connaissance. Nous espérons donc que ce blog répondra à vos attentes. Vos suggestions et observations seront considérées.

Nicolas de Cusa et la docte ignorance.

 

Corpus: La vérité précise est insaisissable

 

« Parce qu'il va de soi qu'il n'y a pas de proportion de l'infini au fini, il est aussi très clair, de ce chef, que, là où l'on peut trouver quelque chose qui dépasse et quelque chose qui est dépassé, on ne parvient pas au maximum simple ; en effet ce qui dépasse et ce qui est dépassé sont des objets finis ; au contraire le maximum simple est nécessairement infini. Quelque objet que l'on me donne, si ce n'est pas le maximum simple lui-même, il est manifeste qu'on pourra toujours m'en donner un plus grand. Et, parce que nous voyons que l'égalité comporte des degrés, de sorte que telle chose soit plus égale à celle-ci qu'à celle-là, à cause des convenances et différences génériques, spécifiques, de lieu, d'influence et de temps, avec les choses qui lui ressemblent, il est clair qu'on ne peut pas trouver deux ou plusieurs objets semblables et égaux à tel point que des objets plus semblables encore ne puissent pas exister en nombre infini. Que les mesures et les objets mesurés soient aussi égaux que l'on voudra, il subsistera toujours des différences. Donc, notre intelligence finie ne peut pas, au moyen de la similitude, comprendre avec précision la vérité des choses. En effet, la vérité n'est pas susceptible de plus ou de moins, mais elle est d'une nature indivisible, et tout ce qui n'est pas le vrai lui-même est incapable de la mesurer avec précision ; ainsi ce qui n'est pas cercle ne peut pas mesurer le cercle, car son être consiste en quelque chose d'indivisible. Donc l'intelligence, qui n'est pas la vérité, ne saisit jamais la vérité avec une telle précision qu'elle ne puisse pas être saisie d'une façon plus précise par l'infini ; c'est qu'elle est à la vérité ce que le polygone est au cercle : plus grand sera le nombre des angles du polygone inscrit, plus il sera semblable au cercle, mais jamais on ne le fait égal au cercle, même lorsqu'on aura multiplié les angles à l'infini, s'il ne se résout pas en identité avec le cercle. Donc, il est clair que tout ce que nous savons du vrai, c'est que nous savons qu'il est impossible à saisir tel qu'il est exactement ; car la vérité, qui est une nécessité absolue, qui ne peut pas être plus ou moins qu'elle est, se présente à notre intelligence comme une possibilité. Donc, la quiddité des choses, qui est la vérité des êtres, est impossible à atteindre dans sa pureté ; tous les philosophes l'ont cherchée, aucun ne l'a trouvée, telle qu'elle est ; et plus nous serons profondément doctes dans cette ignorance, plus nous approcherons de la vérité elle-même ».

(Nicolas de Cusa, De la docte ignorance, Paris, éd. De la Maisnie, P.U.F., 1930, Livre I, I-3, pages 4-5.)


 

Le texte soumis à notre commentaire est un extrait tiré de l’ouvrage de Nicolas de Cusa, publié en 1930 à Paris dans l’édition Maisnie, de la Presse Universitaire Française, aux pages quatre et cinq. Cet ouvrage intitulé : De la docte ignorance pose le problème de la connaissance véritable de Dieu par l’entendement. Selon cet auteur la connaissance de Dieu à partir de la raison est impossible du fait de la finitude du créé et de l’infinie du créateur. Pour ce fait, par notre seule nature, par notre seule présence, par l’existence de tout ce qui nous entoure, nous nous situons aux antipodes de la connaissance de Dieu tel que Nicolas de Cusa nous la présente. Ainsi, dans le souci de mieux éclaircir cette pensée, nous ferons un commentaire philosophique pour en extraire la substance nutritive.

 

L’ouvrage de Nicolas de Cusa est un chef-d'œuvre qui s’inscrit dans l’ère de la philosophie moderne, précisément dans la renaissance. Nous sommes ici dans une période où l'Église a le monopole des décisions scolastiques, spirituelles et politiques. Seulement, avec l’avènement de la renaissance et particulièrement de la science de plus en plus axée dans l’observation et l’expérimentation, nous assistons peu à peu à ce que nous appelons le dé-théocentrisme; et les questions comme l’existence de Dieu, son omniprésence, son rapport avec l’homme sont de plus en plus vues sous un œil suspect. Il faudra donc que des philosophes théologiens comme Nicolas de Cusa s’investissent dans la démonstration de l’existence de Dieu, précisément de son insaisissabilité malgré son rapport à l’homme.

De la docte ignorance traite dans son livre I, aux pages 4 et 5, de la connaissance de Dieu par la raison. Et Nicolas de Cusa s’y dépêche de montrer l’impossibilité pour l’homme de saisir exactement le Maximum absolu et infini. Selon cet auteur, le rapport créateur - créature n’est en aucun cas une autorité suffisante pour postuler une possession de la chose qui crée. Et même s’il y avait de la similitude, jamais, la chose créée ne pourra être égale à la chose qui crée puisque l’un est fini et l’autre infinie. Par ce trait fini, la chose créé devient donc subalterne à l’infinie c’est-à-dire à la vérité pure. C’est justement la raison pour laquelle il affirme :<< Notre intelligence finie, ne peut pas, au moyen de la similitude, comprendre avec précision la vérité des choses >>. Dieu est la quiddité de toutes les autres essences. Il est parfait, omniprésent et omniscient. C’est lui la vérité de toutes les choses et pour ce fait, la finitude de la raison humaine ne peut le saisir, lui qui est infini. La vérité est quelque chose qui transcende l’intelligence humaine autrement dit l’homme ne peut saisir la vérité car elle ne se laisse pas atteindre par des étantités. En fait, la vérité dans son être est infinie et pour cela, il serait absurde de penser qu’une chose finie puisse saisir celle qui est infinie à moins que celle-ci se laisse saisir elle-même. Il y a possibilité pour l’intelligence de saisir la vérité si et seulement si la vérité se donne elle-même à l’intelligence. Au cas contraire, il faudra que l’intelligence devienne elle-même vérité si elle veut saisir la vérité ; ce qui est impossible. La seule possibilité de l’intelligence est que, dans ses métamorphoses c’est-à-dire dans son évolution, l’intelligence peut être similaire à la vérité mais jamais elle ne sera au même pied d’égalité qu’elle. Ainsi donc, <<La vérité [...] se présente à notre intelligence comme une possibilité >>. La quiddité des choses c’est en outre la vérité des êtres et pour cela, rien ne peut << l’atteindre dans sa pureté>>. Certes, nombreux des philosophes se sont penchés sur son heuristique mais malheureusement, aucun d’eux n’a pu le trouver. Pourquoi ? Simplement parce qu’ils n’ont pas accepté leur ignorance, ils n’ont pas été assez sage en reconnaissant qu’ils ne pouvaient percer le mystère de la connaissance du Maximum absolu. Or, s’ils avaient agi autrement, en reconnaissant d’abord leur ignorance, en suivant l’exemple de Socrate, ils se seraient ‘’approchés ‘’ de la vérité elle-même. Nicolas de Cusa le justifie si bien en ces termes :<< Et plus nous serons profondément doctes dans cette ignorance, plus nous approcherons de la vérité elle-même >>.


En définitive, l’extrait de texte soumis à notre commentaire traitait de la connaissance de Dieu. Il ressort de notre travail que par son caractère fini, limité, l’homme: sa raison ou son entendement ne peut s’égaler au Maximum absolu encore moins le comprendre et/ou le saisir. La vérité de toutes les choses dépasse notre intelligence et même notre imagination. Seule ce qui est identique à la vérité de toutes les choses peut saisir la quiddité de toutes les choses. Néanmoins, il ressort tout de même que c’est par la connaissance de notre ignorance que nous pouvons nous approcher de la vérité.

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